Chapitre 4
Matt n’avait pas décoléré depuis la visite surprise de Jesse. Encore maintenant, dans le cabinet de son avocat, il bouillonnait de rage, s’efforçant cependant de n’en rien laisser paraître. Mais Heath n’était pas dupe.
— Ne prenez pas de décision prématurée, Matt… Attendez quelques jours, ou, mieux, quelques semaines, avant d’entreprendre quoi que ce soit. D’ici là, la situation sera toujours la même et vous aurez recouvré votre sang-froid.
— Vous ne seriez pas furieux à ma place ?
— Si… Bien sûr…, admit l’avocat en s’asseyant sur le bord de son bureau. C’était impardonnable à cette femme de vous avoir caché sa grossesse et de disparaître comme ça. Vous pourriez la poursuivre en justice.
Malheureusement, la cause était perdue d’avance et Matt le savait pertinemment. Jesse l’avait informé qu’elle était enceinte. C’était lui qui n’avait pas voulu la croire, ou plutôt qui avait nié que le bébé pût être de lui, ce qui revenait au même.
Allons ! Rien ne servait de ruminer le passé : les temps avaient changé et lui aussi. Bien moins impulsif et beaucoup plus avisé qu’à l’époque de sa relation avec Jesse, il ne se laissait plus guider par ses émotions et il ne retomberait plus dans les mêmes erreurs. Qu’il soit le père du petit Gabriel ne changeait pas la donne : elle avait couché avec un autre homme.
— Je veux la détruire, dit-il froidement. Enquête approfondie sur elle… Je veux tout savoir de ces cinq dernières années : où elle habitait, ce qu’elle faisait, qui elle fréquentait, les noms de ses amants… Qui sait? Peut-être découvrirons-nous dans sa vie de quoi l’accabler…
— S’il y a quelque chose, soyez sûr qu’on le trouvera et qu’on s’en servira contre elle.
Cette certitude n’assouvissait pourtant pas son désir de vengeance. Il fallait quejesse souffre à son tour; que, brisée, elle comprenne sa douleur; quelle perde tout ce à quoi elle tenait et surtout qu’elle sache qu’elle le perdait par sa faute.
— Il y a maintes façons de lui gâcher la vie, reprit Heath. De la simple injonction à ne pas quitter Seattle, au procès pour lui retirer la garde de son fils.
Lui prendre son enfant? Voilà une perspective intéressante !
— Faites ça, Heath !
Mais l’avocat ne semblait plus si sûr d’avoir formulé une bonne idée.
— Matt, est-ce que vous avez réfléchi qu’en cas de succès vous vous retrouverez avec un gosse sur les bras ?
— Si le cas se présente, je saurai m’en arranger.
Se retrouver avec un enfant en bas âge à sa charge n’était pour Matt qu’une perspective abstraite. S’il ne s’en tirait pas seul, quoi de plus facile que d’engager quelqu’un pour s’en occuper! C’était bien à cela que servaient les gouvernantes et les pensionnats, non?
— Faites ça…, répéta-t-il. Vous allez remplir dès à présent les formulaires pour le tribunal, mais vous ne les utiliserez que quand je vous en donnerai l’ordre. Je veux connaître l’évolution de la situation, avant d’abattre mon jeu.
Plusieurs options se présentaient à lui, alors pas question de foncer bille en tête. Au contraire, il allait attendre et jouer au mieux ses atouts pour infliger à Jesse le maximum de souffrances.
Nicole tint la porte ouverte, tandis que Claire remontait l’allée avec ses deux enfants : Robby, un garçonnet de quatre ans et sa sœur de deux ans, Mirabella. Elle embrassa son neveu et contempla sa sœur.
— Tu sembles si sereine et reposée, Claire!
— C’était pareil pour toi avant la naissance des jumelles, répondit Claire. Je suis certaine que, dans quelques mois, tu auras retrouvé ta forme… Tu arrives un peu à trouver des moments pour toi ?
— Hier après-midi, j’ai pu faire une petite sieste pendant qu’Eric jouait chez un copain.
— Les filles font leurs nuits ?
— Presque.
Les deux femmes allèrent s’installer dans le salon. Robby et Eric foncèrent droit sur le coffre à jouets et commencèrent à en éparpiller le contenu sur le sol, tandis que Mirabella se pelotonnait contre sa mère sur le canapé. Pour une fois, les jumelles étaient éveillées et ne pleuraient pas. Du haut de leurs sièges de bébé identiques, elles scrutaient les nouveaux venus d’un regard curieux.
Nicole se laissa tomber dans l’immense fauteuil qui faisait face au canapé et donna enfin à sa jumelle l’information qui lui brûlait les lèvres.
— Jesse est revenue…
— Ah bon? répondit Claire, sans se départir du calme quelle arborait en toutes circonstances et qui énervait tant sa sœur.
— Ça ne te surprend pas ?
— Elle m’avait parlé de son désir de passer l’été à Seattle.
Nicole se raidit. Claire avait dû compter sur le fait qu’elle serait obligée de se maîtriser à cause de la présence des cinq enfants et qu’elle ne pourrait bondir sur ses pieds en hurlant, comme elle n’aurait manqué de le faire autrement.
— Tu es restée en contact avec elle ? demanda-t-elle en s’efforçant de ne pas prendre un ton de reproche.
Ça, c’était bien Claire : douce et gentille en apparence, mais n’en faisant qu’à sa tête.
— Figure-toi que c’est aussi ma sœur, même si je n’ai jamais vraiment eu l’occasion de la connaître ! Et contrairement à toi, je n’ai aucun conflit avec elle. Quand elle est partie, j’ai eu le sentiment que j’allais de nouveau la perdre et, oui, j’ai gardé le contact. On s’envoie des e-mails à peu près une fois par mois. J’ignorais qu’il fallait t’en informer!
Nicole aurait voulu rugir ou même casser quelque chose. Evidemment, Claire n’avait connu Jesse que sous son meilleur jour, alors qu’elle-même s’était coltinée tous les soucis. Pourtant, sa conscience lui soufflait qu’elle aussi aurait pu faire l’effort de rester en contact avec leur cadette. Mais, puisqu’elle avait toujours su où elle se trouvait, était-ce vraiment un problème ?
— Ainsi, elle est passée te voir…, reprit Claire.
— Oui, hier.
— Et tu as vu Gabe ?
— Non, mais Jesse a apporté des photos. Il ressemble beaucoup à Matt, répondit Nicole, qui les avait examinées dans la soirée.
Ce fameux Matt qu’elle n’avait aperçu qu’une fois.
— Ne t’avise pas de le dire, lança-t-elle soudain, avec un air de défi.
— De dire quoi?
— Que ça change quelque chose de savoir qui est le père de Gabe.
— Jesse n’est jamais sortie avec Drew, affirma Claire en fixant sa sœur droit dans les yeux.
— Qu’est-ce que tu en sais ?
— Elle me l’a dit.
Jesse avait bien essayé de le lui expliquer aussi, mais elle n’avait pas voulu l’écouter.
— En fait, je n’ai jamais été sûre de rien, soupira-t-elle.
— Alors pourquoi ne pas lui accorder ta confiance? Jesse est ta sœur. Ça ne signifie rien pour toi ?
Si, ça signifiait qu’une sœur pouvait vous blesser plus durement que quiconque au monde…
— Moi, je la crois, continua Claire. Et je lui accorde le bénéfice du doute.
— Moi pas ! Elle a trop souvent trompé ma confiance.
— C’était il y a longtemps, Nicole…
— Je ne crois pas qu’elle ait changé. Il va falloir qu’elle fasse ses preuves.
— A mon avis, quoi qu’elle fasse, elle n’aura aucune chance de t’en convaincre, parce que, au fond de toi, tu n’es pas prête à accepter qu’elle ait pu changer. C’est plus confortable de continuer à voir en elle une fautive…
— C’est possible, répondit franchement Nicole, après avoir réfléchi quelques secondes à la question.
Jesse sortit les gâteaux du four et les étudia d’un œil critique. Ils semblaient impeccables, comme ses trois premières fournées de la matinée, mais peut-être valait-il mieux quand même faire un cinquième un essai.
La perfection avait beau ne pas être de ce monde, il lui fallait absolument se dépasser, pour forcer Nicole à admettre que ses gâteaux étaient sublimes. Si elle échouait, elle n’aurait pas de seconde chance.
Au moment où elle déposait les gâteaux sur une grille pour qu’ils refroidissent, son portable sonna. Un rapide coup d’œil sur le numéro inconnu qui s’affichait lui permit de reconnaître l’indicatif 206, celui de Seattle.
— Allô!
— Jesse? C’est Matt. Je voudrais rencontrer mon fils…
Eh bien, on pouvait dire qu’en cinq ans il avait au moins appris à aller droit au but ! La gorge serrée, Jesse sentit son cœur s’emballer.
— C’est aussi son souhait le plus cher…, répondit-elle en s’efforçant de masquer son émotion.
Elle savait que les bureaux de Matt se trouvaient dans le quartier de Bellevue, à proximité d’un McDonald’s doté d’un espace de jeux. Si Gabe pouvait s’amuser, cela faciliterait la rencontre.
— Que dirais-tu de se retrouver autour d’un hamburger ?
— Déjeuner ne m’intéresse pas.
Visiblement, il n’avait pas l’intention de se montrer amical. Ils convinrent d’un rendez-vous le jour même, à 14 heures. Autrement dit dans trois heures, ce qui laissait largement le temps à la jeune femme de sombrer dans la panique et de se ronger les sangs.
*
*
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Deux heures et cinquante-cinq minutes plus tard, Jesse se gara sur le parking du McDo en adressant une action de grâces à celui ou celle qui avait eu l’idée miraculeuse d’installer des aires de jeux dans les fast-foods. Dans tout le pays, peut-être même dans le monde entier, les mères bénéficiaient ainsi d’un lieu où, tandis que leurs enfants se défoulaient en toute sécurité, elles pouvaient tranquillement ingurgiter caféine et frites à volonté. Que demander de plus ?
— Il est là, maman? Il est là? s’écria Gabe en se propulsant hors de son siège dès que sa mère eut défait sa ceinture de sécurité.
— Je ne sais pas, répondit Jesse, aussi nerveuse que lui, mais pour d’autres raisons.
Matt était le seul homme qu’elle ait jamais aimé, mais leur dernière rencontre avait été si pénible, si empreinte de gêne ! Pourvu que celle-ci – si importante pour son fds – se déroule sous de meilleurs auspices !
Avant de partir, elle avait résisté à la tentation de se changer pour la centième fois. Pourtant, sa garde-robe se limitait à des jeans, quelques pulls et autant de T-shirts, qu’elle changeait en fonction des saisons. Quand elle avait acheté le strict nécessaire, elle ne disposait plus de quoi remplir ses placards des dernières créations à la mode. Elle se débrouillait avec les soldes ou dénichait des vêtements de qualité dans les dépôts-ventes. De toute façon, aujourd’hui, ce n’était pas elle qui était concernée, mais Gabe qui allait rencontrer son père pour la première fois.
Dès son entrée, elle aperçut Matt, qui était le seul à porter un costume.
Elle le trouva beau, éblouie par ses yeux sombres, quand il se leva pour les accueillir. Il donnait une telle impression d’énergie et d’assurance… Peu de femmes devaient y résister. Elle, elle connaissait cependant des aspects de lui ignorés du reste du monde. Elle savait ce qui le faisait rire, ce qui le rendait enragé, la manière de l’embrasser ou de le caresser pour lui faire perdre la tête…
Elle le savait, mais c’était avant, se dit-elle en refoulant l’irrésistible impulsion qui la poussait à se jeter dans ses bras. Matt était le seul être sur cette planète qui lui ait jamais procuré un sentiment de sécurité. Mais elle devait garder à l’esprit qu’il était devenu en cinq ans un inconnu dont elle ignorait tout.
Il fixait maintenant son fils, qui s’était précipité droit vers lui, le visage illuminé de bonheur.
— Alors c’est toi mon papa? lui demanda le petit avec un grand sourire.
— Oui, répondit-il sans chaleur.
Comme il n’avait pas fait le moindre geste vers lui, que son visage restait fermé, l’enfant interloqué se figea.
— Tu en es sûr?
— Oui… On doit faire un test ADN, dit-il à Jesse.
— Bien sûr…
C’était elle qui le lui avait proposé, pourquoi cela lui aurait-il posé problème ? Elle était très déroutée par l’attitude de Matt. S’il désirait sincèrement connaître son fils, tout dans son attitude indiquait le contraire.
Elle essaya de lui trouver une excuse, se disant qu’il n’avait pas la moindre expérience des enfants, qu’il ignorait totalement comment s’adresser à un garçonnet de quatre ans.
— Ne t’inquiète pas, Gabe, fit-elle, plus détendue en posant la main sur l’épaule de son fils. C’est comme quand on rencontre un camarade le premier jour d’école. Même si on sait qu’on va rapidement devenir copains, on est un peu intimidé…
Le petit garçon leva sur elle un regard horriblement déçu. Si l’on comparait l’attitude de Matt à l’accueil de Paula, qui les avait reçus à bras ouverts, il y avait de quoi.
— Ton papa est un peu nerveux, murmura-t-elle en s’accroupissant devant lui, sans se soucier que Matt l’entende. Tu es son premier petit garçon. Alors, il faut lui donner le temps de s’habituer…
L’enfant parut soulagé de cette explication.
— Je peux aller faire du toboggan ? demanda-t-il.
— Bien sûr…
Tout en le regardant s’éloigner, Jesse se demanda si Matt comprenait que Gabe s’était attendu à un accueil bien plus chaleureux et s’il se moquait d’avoir déçu son fils.
Elle se dirigea vers une table d’où elle pouvait garder un œil sur l’aire de jeux et s’y installa. Matt sembla hésiter à la suivre. Considérait-il que ce bref face-à-face constituait leur rendez-vous ?
— Gabe est un enfant bourré de qualités, commença-t-elle quand il l’eut rejointe. Il va à l’école depuis un an et se montre très bon élève. Non seulement il s’exprime bien, mais il est très sociable et se fait facilement des amis. Ses professeurs l’adorent.
— Il doit tenir ça de toi, répondit Matt, qui la fixait d’un œil attentif.
— C’est possible, mais il est aussi doué en calcul et ça, c’est de toi qu’il l’a hérité. Ça doit te fait drôle de le voir… presque irréel…, reprit-elle, après une seconde d’hésitation.
— Détrompe-toi, c’est au contraire presque trop réel.
Apparemment, Matt avait décidé de ne pas lui faciliter les choses.
— Est-ce que tu as réfléchi à ce que tu veux faire par la suite? lui demanda-t-elle prudemment.
— Intéressante question…
— On pourrait s’organiser pour que vous fassiez mieux connaissance, dans un premier temps. Ton inexpérience des enfants n’a aucune importance, vous trouverez sûrement un moyen de vous entendre.
— Tu sembles bien sûre de toi.
— Gabe est un enfant facile. J’aimerais tellement que le courant passe entre vous ! Tu es son père et ça signifie énormément pour lui.
Jesse paraissait sincère, mais Matt refusait de la croire telle. Si, à une époque, il aurait pu être assez naïf et stupide pour tomber dans le panneau, ce n’était plus le cas aujourd’hui. Elle jouait simplement son jeu afin d’arriver à ses fins et il avait bien l’intention de faire de même. Encore fallait-il trouver comment.
Tout en lui parlant, elle surveillait son fils qui s’était arrêté pour discuter avec une fillette de son âge. Il suivit leur petit manège, intéressé malgré lui, et vit les deux enfants se diriger en riant vers le toboggan. Jesse paraissait se réjouir de leur complicité.
En fait, elle n’avait pas tellement changé. Elle était toujours aussi jolie avec ses cheveux blonds et ses yeux bleus, son charme naturel, sans apprêt, sans artifice.
Comme elle sentait qu’il l’observait, elle se retourna et lui adressa un grand sourire de connivence, comme s’ils étaient liés et qu’elle ne l’avait jamais trahi.
— Gabe sait s’y prendre avec les filles et je m’inquiète un peu de ce que ça va donner quand il sera grand, essaya-t-elle de plaisanter. Mais un seul problème à la fois! C’est ma devise…
Matt acquiesça, indifférent. L’enfant n’était pour lui qu’un moyen d’arriver à ses fins.
— Pourquoi aujourd’hui? demanda-t-il brusquement.
— Ça fait un bout de temps qu’il me pose des questions sur toi. Je ne voulais pas mentir ni lui dire que tu étais mort. J’ai préféré lui avouer la vérité : que tu ignorais qu’il existait.
— J’étais au courant ; tu m’avais dit que tu étais enceinte.
— Oui, mais tu ne m’as pas crue, murmura-t-elle, les yeux baissés. Même si j’en comprends la raison, j’en ai souffert. J’imagine que si je t’avais dit que je t’aimais, ça n’aurait rien changé, ajouta-t-elle en levant sur lui un regard douloureux. J’espérais pourtant que tu y réfléchirais et que tu finirais par te poser des questions, mais je m’étais trompée. Enfin, me voilà revenue et c’est l’occasion ou jamais de solder le passé. Est-ce que tu pourrais surveiller Gabe, pendant que je vais lui chercher un goûter ?
Elle se leva et disparut avant qu’il ait pu répondre.
Matt se carra dans son siège, incertain de la conduite à tenir. Qu’est-ce qu’il connaissait aux enfants? Il tourna son attention vers le garçonnet qui n’avait pas remarqué l’absence de sa mère et continuait à bavarder avec sa nouvelle amie. Tous deux jouaient avec un gros camion en riant aux éclats.
Jesse revint quelques minutes plus tard avec un verre de lait, deux cafés et un yaourt. Tandis qu’elle lui tendait son café, Gabe accourut à toutes jambes.
— C’est pour moi? demanda-t-il en pointant l’index vers le laitage.
— Si tu y tiens, on partagera, répondit Jesse en lui ébouriffant les cheveux. Oh, regarde, ton lacet est défait…
Gabe jeta un œil à son père, puis se pencha pour lacer cérémonieusement sa chaussure. On aurait dit qu’il était en train de réaliser un exploit. Matt réalisa soudain qu’il n’avait aucune idée de l’âge auquel un enfant est supposé savoir nouer ses lacets. Gabe était-il en retard en avance ou dans la norme ? Quand l’enfant eut terminé, sa mère le serra chaleureusement dans ses bras.
— Bravo, tu t’en es sorti comme un chef!
Gabe, qui avait lancé un regard à son père, se détourna tout de suite quand celui-ci lui adressa un sourire poli.
— C’est tout nouveau pour lui, expliqua Jesse. Ça demande un apprentissage long et difficile, car il faut acquérir une grande finesse de motricité.
— C’est oncle Bill qui m’a appris, dit Gabe en prenant son lait.
Qui diable était cet oncle Bill ? Ce gosse avait beau ne pas vraiment l’intéresser, ce n’était pas pour autant que Matt se réjouissait de l’imaginer fréquentant les amants de sa mère. D’ailleurs, ce Bill était-il simplement un amant? Matt jeta un coup d’œil furtif à la main gauche de la jeune femme.
— Tu es mariée ?
— Non…
Jesse sursauta, gênée, puis éclata de rire.
— Mariée ? Ça, c’est la meilleure ! Je n’ai même pas le temps d’aller chez le coiffeur! Alors fréquenter quelqu’un!
Disait-elle la vérité ? Il le découvrirait bien assez tôt. Jesse avait toujours eu beaucoup de succès auprès des hommes. Même aujourd’hui, alors qu’il lui en voulait à mort et cherchait le moyen de se venger d’elle, il ne pouvait s’empêcher d’admirer l’éclat de sa peau et la beauté de son sourire. Tout en elle le ravissait, autrefois. Et sa grossesse ne semblait pas avoir modifié ses formes.
Jesse sans homme? C’était inimaginable!
Comme la jeune femme attendait visiblement qu’il reprenne la parole, une femme d’âge mûr se dirigea vers eux.
— Monsieur Fenner? s’enquit-elle en arrivant près de leur table. C’est le laboratoire qui m’envoie…
— Cette dame vient pour le test ADN, expliqua-t-il à Jesse qui haussait les sourcils.
— Oh… bien sûr… Je comprends. Que vous faut-il? demanda-t-elle, un peu estomaquée par la rapidité avec laquelle Matt semblait vouloir mener les choses.
— Simplement un frottis de l’intérieur de la joue. C’est totalement indolore.
— Pourriez-vous me faire le test d’abord? Je sais que vous n’en avez pas besoin, mais ça rassurerait Gabe.
— Puisqu’on doit me le faire aussi, ça devrait le sécuriser, rétorqua Matt.
Jesse hésita un long moment, ce qui eut le don de l’énerver, mais elle finit par hocher la tête et appela le petit garçon.
— La gentille dame est venue spécialement pour faire un test sur toi… Mais il n’y a pas besoin d’aiguille… Et puis ton papa va te montrer comment ça se passe pour que tu n’aies pas peur.
Gabe, l’air peu convaincu, ne protesta cependant pas. La femme enfila des gants en plastique, sortit un Coton-Tige de son emballage stérile et enjoignit à Matt d’ouvrir la bouche. Quelques secondes plus tard, c’était fait.
— Ça paraît tout simple, déclara Jesse d’un ton faussement enjoué. Est-ce que ça t’a fait mal ?
— Pas du tout, répondit Matt, qui se sentait idiot d’entrer dans cette petite comédie. Ce n’est qu’un Coton-Tige. Ça ne peut pas faire mal.
Après avoir avalé sa salive, Gabe ouvrit stoïquement la bouche à son tour.
— J’ai été brave, hein? dit-il en arborant un sourire faraud, quand le prélèvement fut terminé.
— Oui, très brave ! le félicita sa mère. Ce test va servir à s’assurer que Matt est bien ton père.
— Mais tu m’as dit que c’était lui!
— C’est la vérité. Mais il faut le prouver officiellement.
Visiblement, Gabe n’avait pas l’habitude de voir la parole de sa mère mise en doute.
— Quand mon papa sera sûr, est-ce qu’il m’aimera? demanda l’enfant, qui s’était pelotonné contre sa mère.
Jesse lança un regard éloquent à Matt, avant de serrer son fils contre son cœur.
— Il t’aime déjà, mon chéri et, avec ce test, ce sera encore mieux.
Matt avait la sensation pénible d’être jugé. C’était un comble ! Qu’avait-il fait de mal ?
— Tu es lourd, dis donc ! fit Jesse en soulevant Gabe pour l’asseoir sur ses genoux. Quelquefois, j’ai l’impression que tu grandis à vue d’œil.
Le gamin s’esclaffa et se tourna vers son père.
— Quand je serai grand comme la marque sur le mur, j’aurai un vrai vélo!
— Eh oui, une promesse arrachée dans un moment de faiblesse ! dit Jesse en souriant. Une bicyclette à deux vitesses, mais avec des petites roues sur les côtés.
— Bon, d’accord, soupira Gabe. Mais quand oncle Bill m’aura appris, je pourrai les enlever, hein, maman?
Qui était donc ce mystérieux oncle Bill, dont on lui rebattait les oreilles ? Il fallait absolument que son enquêteur découvre tout ce qu’il y avait à savoir sur lui.
— Je t’en prie, laisse-moi souffler un peu, ne grandis pas trop vite, dit Jesse en étreignant son fils. J’aime tant que tu sois encore petit.
— Mais moi, je veux être grand!
La jeune femme éclata de rire, projetant sa chevelure dorée en arrière et, rayonnant de bonheur, elle se tourna vers Matt. Comme elle était belle et pleine de vie !
Il la revit, penchée sur lui avec un sourire coquin, s’assoupissant après l’amour ou frémissant de désir. Il connaissait par cœur – ou plutôt il avait connu – tous les replis de son corps, ses parfums, le velouté de sa peau. Il lui avait même déclaré un jour que, les yeux bandés, il la retrouverait sans difficulté dans une pièce remplie de femmes.
Oui, des années auparavant, il l’avait aimée comme un fou; quand il n’était qu’un jeune imbécile s’imaginant que ça pourrait marcher entre eux. Quelle naïveté ! Quelle erreur ! Elle l’avait trompé sans vergogne et, aujourd’hui, il sentait encore la colère bouillonner en lui. Lui prendre Gabe n’était pas suffisant pour le guérir de sa trahison. Il fallait trouver autre chose. Mais quoi ?
— Est-ce que tu aimes bien ma maman? lui demanda soudain le gamin.
Cette question inattendue le prit de court.
— Bien sûr, répondit-il, sachant qu’il ne pouvait lui dire la vérité : que sa haine pour sa mère était si intense qu’elle le brûlait comme un acide.
— Est-ce que tu l’aimes comme un amoureux? insista l’enfant.
— Gabe ! Chut ! lui intima Jesse, rouge comme une pivoine. C’est le genre de questions indiscrètes qu’il ne faut pas poser.
— Pourquoi?
— Parce que !
Elle semblait embarrassée. Pour quelle raison? Parce qu’elle se sentait coupable ou parce qu’elle avait gardé des sentiments pour lui? Y aurait-il là une faille à exploiter?
La vengeance semblait se profder : s’arranger pour qu’elle tombe amoureuse de lui, se donne corps et âme, puis lui briser le cœur ! Lui voler à la fois son cœur et son enfant pour la réduire à néant…
Il avait passé les cinq dernières années à exercer son pouvoir d’attraction sur les femmes et, s’il décidait de la séduire de nouveau, Jesse n’avait aucune chance.